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"La mort tous les jours": deuil et angoisse à l'épicentre d'Ebola en Ouganda
Au milieu des bananiers, Bonaventura Senyonga creuse la tombe de son petit-fils, emporté par le virus Ebola. L'octogénaire attend le corps, préparé par les services médicaux du gouvernement ougandais, pour procéder à l'enterrement.
Les funérailles d'Ibrahim Kyeyunepere, mécanicien moto de 30 ans et père de deux filles, se feront loin des rituels traditionnels, avec réunion de la famille élargie et embrassades. Seule une poignée de parents est présente pour aider à creuser la terre historique de la famille au village de Kasazi B, dans le district de Kassanda.
Ce district du centre de l'Ouganda, et celui voisin de Mubende, sont les épicentres de la récente flambée d'Ebola, officialisée par le gouvernement ougandais le 20 septembre. Il a depuis fait 53 morts, selon des chiffres officiels datés du 6 novembre.
Le virus n'avait plus été repéré dans ce pays d'Afrique de l'Est depuis 2019.
"Au début, on pensait que c'était une blague ou de la sorcellerie, mais quand on a commencé à voir des corps, on a réalisé que c'était réel et qu'Ebola pouvait tuer", raconte Bonaventura Senyonga.
Depuis mi-octobre, les deux districts ont été confinés, avec couvre-feu nocturne, interdiction des voyages privés et fermeture des lieux publics. Le virus a été signalé dans la capitale Kampala, à 120 kilomètres de Kassanda.
"Nous avons peur. Ebola nous a choqués au-delà de ce qu'on pouvait imaginer. On voit et on ressent la mort tous les jours", confie Yoronemu Nakumanyanga, l'oncle d'Ibrahim Kyeyunepere.
"Je sais que quand le corps arrivera, les gens du quartier s'enfuiront, pensant que le virus Ebola se propage dans l'air", ajoute-t-il.
Le virus se transmet par les fluides corporels - avec des symptômes de fièvre, vomissements, diarrhée et saignements - mais l'angoisse et la désinformation alimentent les comportements irrationnels.
- "Je les ai vus mourir" -
Avant la psychose, l'insouciance a posé un grand défi au gouvernement de l'Ouganda, pays de 47 millions d'habitants.
Malgré les mises en garde officielles, des proches de victimes d'Ebola ont parfois exhumé des corps enterrés sous surveillance médicale pour effectuer des rituels traditionnels, provoquant des pics de contamination.
Dans d'autres cas, des malades sont allés chercher l'aide de médecins traditionnels plutôt que d'aller dans des établissements de santé. Cette tendance inquiétante a amené le mois dernier le président Yoweri Museveni à ordonner aux guérisseurs de cesser d'accueillir des personnes souffrantes.
Les autorités ont installé des tentes d'isolement et de traitement dans les villages ruraux pour que les populations puissent rapidement accéder aux soins.
Brian Bright Ndawula et trois membres de sa famille ont tardé à se faire dépister. Ce commerçant de Mubende de 42 ans est aujourd'hui le seul survivant. Sa femme, son fils de quatre ans et sa tante sont morts.
"Lorsqu'on nous a conseillé d'aller à l'hôpital pour faire un test Ebola, nous avions peur qu'on nous place en quarantaine", raconte-t-il.
C'est quand leur état de santé s'est dégradé et que le médecin qui les soignait a lui aussi commencé à présenter des symptômes qu'il a compris qu'ils avaient contracté le virus.
"Je les ai vus mourir. Je savais que j'étais le prochain mais Dieu est intervenu et m'a sauvé la vie", soupire-t-il, rongé par le regret d'avoir retardé le dépistage: "Ma femme, mon enfant et ma tante seraient vivants si nous étions allés voir l'équipe Ebola assez tôt".
- Sensibilisation -
Les survivants comme Brian Bright Ndawula oeuvrent aujourd'hui à la sensibilisation contre Ebola, partageant leurs expériences douloureuses mais rappelant aussi qu'une personne contaminée peut guérir avec un traitement rapide.
La ministre de la Santé, Jane Ruth Aceng, a exhorté les patients guéris à Mubende à diffuser le message selon lequel "quiconque présente des signes d'Ebola ne doit pas fuir le personnel médical mais plutôt courir à eux": "Si vous fuyez avec Ebola, cela vous tuera".
Le docteur Hadson Kunsa, qui a contracté la maladie en soignant des patients atteints du virus, se souvient avoir été pris de terreur en apprenant son diagnostic.
"J'ai supplié Dieu de me donner une seconde chance et j'ai dit à Dieu que je quitterai Mubende après ma guérison", raconte-t-il.
Mais il n'a pu se résoudre à le faire: "Je ne quitterai pas Mubende et je ne trahirai pas ces gens alors qu'ils sont dans le plus grand besoin".
M.Carneiro--PC