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En Turquie, les taxes sur l'alcool gâchent la fête
Dans ce quartier de bars et de cafés d'ordinaire animés d'Istanbul, les tables restent vides depuis que les taxes sur l'alcool ont augmenté de 50% en janvier.
Debout devant le pub de Besiktas où il travaille, sur la rive européenne, Suleyman Gunes, 32 ans, essaie d'attirer les clients quand tombe le soir.
"Avant, à cette heure-ci, on était plein à 80, 90% contre 30 à 40% aujourd'hui", confie-t-il à l'AFP. "Les clients tournent le dos dès qu'ils voient les prix sur la carte".
Au début de l'année, le gouvernement turc a annoncé une hausse de 47,4% des taxes sur l'alcool et le tabac, frappant de plein fouet des bars et restaurants déjà affectés par la pandémie de coronavirus. Et poussant des particuliers à produire leur alcool maison.
Des barmen racontent à l'AFP les nouvelles habitudes des clients, qui partagent parfois une bouteille de bière, quand d'autres restent plusieurs heures au bar avec un seul verre de vin.
"A ce rythme, on va devoir bientôt imposer des restrictions", estime l'un d'eux.
Le président Recep Tayyip Erdogan, un musulman pieux dont le parti conservateur AKP est au pouvoir depuis 2002, est accusé de vouloir islamiser la société en s'en prenant à l'alcool et au tabac.
En 2013, son gouvernement avait déjà limité les horaires de vente d'alcool et en mai 2021, les ventes avaient été interdites pendant les 17 jours de confinement.
Lui-même a souvent incité les Turcs à consommer de l'"ayran", une boisson à base de yaourt, en lieu et place du raki, l'anisette nationale.
- "punition" -
La bouteille de raki de 70 cl vaut aujourd'hui 249 livres turques (16 euros) contre 175 avant.
Sur l'année écoulée c'est l'ensemble des prix à la consommation qui a flambé de près de 50%, érodant le pouvoir d'achat des Turcs malgré des hausses de salaires de 30 à 50% pour la plupart des salariés du pays.
Avec les dernières augmentations sur l'alcool, de nombreuses boutiques spécialisées, les "tekel", redoutent de devoir fermer.
"L'alcool était déjà cher, mais ce nouveau rebond a jeté de l'huile sur le feu", déplore Cihan Ince, propriétaire d'un tekel à Istanbul.
Ozgur Aybas, patron et fondateur du grossiste Turkey's Tekel Stores Platform, estime que "l'augmentation des prix a agi comme la gifle d'une petite minorité à une majorité de gens joyeux, celle de la restauration et des laïcs".
"C'est une approche idéologique, une punition par les taxes et une sanction qui veut dire +vivez comme nous+", ajoute-t-il.
- apprentis chimistes -
Seref Binay, qui gère un tekel sur la rive asiatique d'Istanbul, assure que la moitié de ses clients produisent désormais de l'alcool à domicile et "se transforment en apprentis chimistes".
Dans le quartier branché de Beyoglu, Serdar Bayar, dans son tekel, met en garde contre une flambée des alcools frelatés à la faveur de la hausse des prix.
"Regardez sur YouTube, vous verrez le nombre de vidéos expliquant comment faire son alcool maison. Mais c'est délicat: confondez méthanol et éthanol et vous perdez la vue".
Lundi, la police d'Istanbul a saisi plus d'un millier de bouteilles d'alcool frelaté lors d'une descente. Montant estimé: un million de livres (65.000 euros). Quatre personnes ont été arrêtées.
Selon les médias turcs, 84 personnes sont mortes à cause d'alcool frelaté rien qu'en décembre en Turquie, avant la dernière hausse des prix.
Sur YouTube, assis à une table devant un énorme saladier de raisins verts, "Vedat3858 Bilgin" explique à ses plus de 1.300 abonnés comment faire du raki.
"C'est bien moins cher. J'ai mes recettes, avec mes propres dosages. Cinq litres de raki coûtent 100 livres (12 euros)", affirme-t-il au téléphone à l'AFP, refusant de révéler son vrai nom.
"Il n'y a aucun risque tant que vous suivez les règles. D'ailleurs, quand je goûte du raki dans un tekel maintenant, j'ai vraiment l'impression de m'empoisonner".
- "libertés rognées" -
Les échoppes tentent de contre-attaquer en faisant preuve de créativité pour stimuler leurs ventes, à coups de promotions via leur compte Instagram ou en faisant venir des groupes de musique sur place.
A 20 ans, Batu explique que "boire un verre dans un bar c'est maintenant comme un rêve pour nous. On rogne nos libertés et on ne réagit pas...", lâche ce client d'un tekel.
A Besiktas, Suleyman Gunes, le serveur, est pessimiste : pour lui, les taxes sur l'alcool "finiront d'avoir la peau du secteur".
"Tel que je le sens, les affaires vont fermer les unes après les autres".
M.Carneiro--PC