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Cochabamba, "le grenier de la Bolivie" asséché par les blocages
Sur un marché de Cochabamba, dans le centre de la Bolivie, épicentre des manifestations des partisans de l'ancien président Evo Morales, Damaris Masias regarde en larmes sa production de tomates finir à la poubelle, au milieu d'autres fruits avariés.
"Dieu seul sait avec combien de larmes ces tomates sont arrivées" jusqu'ici, se lamente la paysanne de 48 ans, à propos des 10 tonnes que ses voisins et elle ont produit à Omereque, à 270 km de là.
La marchandise a été acheminée par l'agricultrice depuis la petite ville située à l'est de Cochabamba jusqu'au marché central du chef-lieu après un trajet de neuf jours, contre huit heures habituellement.
"Il y a des gens pauvres là-bas, combien de sacrifices," déplore auprès de l'AFP la femme, non loin de lots entiers de piments et haricots verts eux aussi en cours de décomposition.
Les partisans de l'ancien président (2006-2019) bloquent depuis le 14 octobre les principales routes du pays, en soutien à leur leader visé par une enquête pour le viol présumé d'une adolescente alors qu'il était à la tête du pays.
Evo Morales estime lui être victime d'une "persécution judiciaire" orchestrée par le gouvernement du président Luis Arce, son ancien allié et désormais rival pour la candidature du parti au pouvoir en vue de la présidentielle de 2025.
Au total, 24 barrages ont été signalés dans le pays mercredi, la plupart dans le département de Cochabamba, fief de M. Morales, un ancien cultivateur de coca dont les soutiens sont majoritairement des paysans indigènes.
Non loin du marché de gros, une file d'attente s'étend sur quelque 300 mètres devant un bureau de la compagnie aérienne Boliviana de Aviacion. Colis à la main, les gens patientent avec l'espoir de pouvoir expédier leurs produits.
"Nous cherchons des ponts aériens pour que les produits ne s'abiment pas", explique Christian Vrsalovic, un industriel du secteur laitier qui paie désormais cinq fois plus pour le transport de sa production afin d'assurer ses livraisons. Certains racontent faire la queue depuis le petit matin.
Les blocages ont provoqué des pertes pour le secteur agroalimentaire du département de quelque 20 millions de dollars, estime la Confédération nationale bolivienne de l'agriculture (Confeagro).
"Cochabamba est le centre névralgique de l'économie (du pays). Toutes les exportations agroindustrielles de Santa Cruz (département le plus riche) transitent par ici, avant d'être dirigées vers les ports d'Arica (au Chili) où elles génèrent les devises étrangères dont le pays a tant besoin", souligne Rolando Morales, vice-président de la Confeagro.
- "Simple titre" -
Sur un autre marché de Cochabamba, Ana Luz Salazar, une vendeuse de 55 ans, aligne les poulets qu'elle n'a pas vendu. Leur prix est passé de 2 à 3,4 dollars le kilo depuis le début des blocages, ce qui a "beaucoup" fait chuter ses ventes, se plaint-elle.
"Les clients nous réprimandent. Ils nous disent +c'est cher+. D'autres n'achètent pas et s'en vont".
A la périphérie de la ville de 660.000 habitants, plusieurs vastes hangars d'une ferme agricole, habituellement dédiés aux poules pondeuses, sont vides.
"Il y a 15.000 pondeuses en cage que nous avons dû vendre avant la fin de leur cycle physiologique (...) pour garantir l'équilibre alimentaire des autres lots", explique Ivan Carreon, un entrepreneur du secteur avicole de 48 ans.
Le soja et le maïs, essentiels à l'alimentation des élevages avicoles de la région, proviennent du département voisin de Santa Cruz, dont les principales routes d'accès sont bloquées.
Concernant la viande rouge, la situation est encore plus alarmante. Sans alimentation, les animaux pourraient mourir "en moins d'une semaine", avertit M. Morales, pour qui l'expression "grenier de la Bolivie" utilisée pour désigner le département, "n'est désormais plus qu'un simple titre".
A.S.Diogo--PC