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En Ukraine, les déboires d'un pêcheur illustrent la férocité des combats
Le pêcheur ukrainien Artour Tcherepovski a un moyen infaillible pour savoir que la journée a été difficile au front: s'il ne parvient pas à attraper un poisson dans la rivière qui descend des collines où sont positionnés les Russes.
Jetant son filet dans l'eau depuis un pont enjambant la rivière Kazeny Torets, cet homme de 32 ans espère que les bruits sourds au loin ne feront pas fuir son dîner.
"Ils ont peur quand il y a des bombardements. Il faut que ce soit silencieux quand on pêche", dit-il en secouant la tête, avec à l'esprit les batailles sans fin qui font rage sur le front est de l'Ukraine, au troisième mois de l'invasion russe.
"Avant, j'arrivais à en attraper cinq ou six de la taille de la paume de la main en une journée. Maintenant, en temps de guerre, je peux ne pas en attraper du tout", souffle-t-il.
"Cela dépend de l'intensité des bombardements. Quand c'est vraiment fort, les poissons nagent vers le fond", souligne le pêcheur.
Le pont est situé à Sloviansk, à 20 kilomètres au sud-ouest des positions russes, dans une ville symboliquement importante.
Lors du conflit entre forces de Kiev et séparatistes prorusses débuté en 2014 dans la région, Sloviansk était tombée sous le contrôle des rebelles pendant plusieurs mois.
Les troupes ukrainiennes n'étaient parvenues à reprendre la ville qu'au prix de féroces combats, faisant de la ville voisine de Kramatorsk un centre administratif régional.
Sloviansk comme Kramatorsk sont désormais dans le viseur du Kremlin, qui a capturé des territoires dans l'est et le sud de l'Ukraine sans toutefois mettre en déroute les Ukrainiens, comme aurait pu l'espérer Vladimir Poutine, avant la date symbolique du 9 mai, jour de célébration de la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie.
- "Rester en vie" -
La Kazeny Torets serpente autour de fermes et de forêts jusqu'à se jeter dans une autre rivière, qui sépare les positions des troupes russes de celles des forces ukrainiennes.
Les Russes ont tenté de pousser vers le sud, au delà de ces rivières, puis d'avancer vers Sloviansk et Kramatorsk. Les Ukrainiens ont riposté en envoyant leurs troupes les plus aguerries d'un point chaud à l'autre pour s'assurer que Moscou ne puisse pas établir une tête de pont de leur côté de la rive.
Beaucoup de ces soldats ont des uniformes sales à cause des nuits et des jours passés sous les bombardements des avions de guerre russes et des volées incessantes de roquettes Grad et Ouragan.
"Cela vous fait repenser tout ce que l'on prend pour acquis dans la vie civile", philosophe le militaire ukrainien au nom de guerre "Boroda", gagné grâce à sa barbe touffue.
"Ta mentalité change lorsque tu sautes dans un véhicule blindé. Ta priorité, c'est de rester en vie", lance-t-il.
Un groupe d'hommes se prélassent à l'ombre d'une palissade en attendant d'être appelés pour défendre Siversk, dernière petite ville du front en date à risquer la destruction à cause des combats.
- Bombardements jour et nuit -
Lioubov Baïdykova, ancienne employée de la ferme collective de Siversk, sort de son jardin pour voir l'assaut russe contre sa petite localité de quelques 10.000 personnes, principalement des mineurs et des cultivateurs.
De la fumée noire s'élève pour la quatrième journée consécutive depuis un grand silo à grains qui a pris feu pendant une bataille près de la gare de la ville.
Sa propre maison a été bombardée une fois en 2014, lors du conflit avec les séparatistes, et une autre fois ce mois-ci.
Elle dit ne plus même réagir aux explosions, après une nouvelle grosse détonation.
"Je ne réagis même pas lorsque les avions nous survolent. Ils sont passés trois fois aujourd'hui et je n'en ai rien à faire. Je suis juste épuisée de tout ça", lance-t-elle.
Dans la rue de Lioubov, des rangées de maisons en ruines. Un cimetière situé près d'un poste de patrouille a ses tombes brisées par une roquette ou un obus de mortier.
Les maisons qui tiennent encore debout n'ont plus d'électricité ni de gaz. Le filet d'eau qui coule du robinet est bien trop mince pour prendre une douche ou faire la vaisselle.
"Je ne peux pas partir à cause de ma situation financière. Alors je vis avec les bombardements, jour et nuit. C'est comme ça que je vis", explique Lioubov en haussant les épaules.
R.J.Fidalgo--PC