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Les bergers tibétains pris en étau dans le conflit himalayen entre la Chine et l'Inde
Les bergers tibétains du Ladakh, dans l'Himalaya, étaient libres de faire paître leurs troupeaux sans s'inquiéter des frontières il y a encore peu. Mais ils se retrouvent aujourd'hui pris en étau dans le conflit frontalier entre l'Inde et la Chine.
Depuis 2020, des pans entiers de leurs pâturages traditionnels sont devenus des "zones tampons" démilitarisées pour tenir à distance les forces des deux grandes puissances asiatiques, et prévenir les échauffourées.
"L'armée indienne nous empêche d'y aller (...) mais c'est notre terre, pas celle de la Chine", remarque Morup Namgyal, un éleveur de chèvres âgé de 57 ans, qui vit dans le village de Chushul, à 4.300 mètres d'altitude, côté indien.
Ce berger est issu de l'ethnie semi-nomade et bouddhiste Changpa, qui élève des yaks et des chèvres produisant de la laine cachemire, à la fibre fine, soyeuse, très chaude et résistante.
Un affrontement au corps-à-corps à la frontière du Tibet et de la région indienne du Ladakh avait fait en juin 2020 au moins vingt morts côté indien et quatre parmi les Chinois.
Les deux pays ont par la suite décidé de retirer des dizaines de milliers de soldats de la zone, et ont accepté de ne plus déployer de troupes à l'intérieur d'une bande de séparation.
Selon un rapport publié l'année dernière par le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), "la séparation physique des deux armées a considérablement réduit le risque d'affrontements".
- Perte des meilleurs pâturages -
Des restrictions ont été imposées aux Changpa car les mouvements de bétail dans les zones tampons sont "considérés comme une agression", a indiqué à l'AFP un haut responsable de la sécurité indienne sous couvert de l'anonymat.
Mais les bergers se considèrent comme les perdants de cette situation, pris en étau dans un conflit dont ils ne sont pas responsables.
M. Namgyal, comme d'autres éleveurs, affirme que les zones perdues étaient celles qui permettaient de nourrir les bêtes même par grand froid, quand les températures tombent à -35°C.
"Nous avions l'habitude de nous rendre dans ces zones pour les pâturages d'hiver", confirme Konchok Stanzin, un conseiller municipal de Chushul.
Quand en 2020 les troupes se sont retirées, des "postes d'observation et d'autres structures" ont été démantelés, explique-t-il par ailleurs.
Mais de nouvelles routes ont été construites ainsi que des positions d'artilleries creusées et des bunkers.
Après des pourparlers en février, Delhi a toutefois assuré vouloir un "désengagement complet" le long de la ligne de démarcation, comme "fondation essentielle pour le rétablissement de la paix".
Le ministère chinois de la défense a déclaré le mois dernier que la situation à la frontière était "généralement stable", les deux parties utilisant les voies diplomatiques et militaires pour "résoudre les problèmes frontaliers sur le terrain".
- Production de laine en chute -
"Pour éviter de nouveaux affrontements, il faut veiller à ce que la rivalité puisse être gérée à l'amiable", relève l'International Crisis Group, selon qui le "manque de clarté" sur la définition de la frontière peut amener de nouvelles "rencontres hostiles".
En attendant, l'Inde a mis à disposition des bergers Changpa des huttes d'hiver, et un représentant du gouvernement Modi a suggéré la création de colonies permanentes de peuplement dans une stratégie de consolidation de la présence du pays dans la zone montagneuse disputée.
Pour Namgyal Phunchok, un chef de la communauté Changpa à Chushul, le mode de vie pastoral est en danger.
"En hiver, le gouvernement nous fournit du fourrage pour nos chèvres, mais ce n'est pas la même chose que le pâturage naturel", relève-t-il.
La production de laine cachemire s'est effondrée et environ un dixième des familles de son village ont complètement cessé d'élever des chèvres.
"Nos difficultés augmentent chaque année", conclut, dépité, M. Phunchok.
L.Henrique--PC