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En Finlande, grogne contre un projet de l'UE pour la nature
Face à une nouvelle clairière qu'il vient de dégager, Matti Jäppilä pointe du doigt les nombreux anneaux de croissance sur une énorme souche d'un arbre vieux de près de trois siècles.
En Finlande, recouverte à 75% de forêts, de nombreux habitants comme lui s'inquiètent d'un nouveau projet européen de biodiversité destiné à restaurer la nature, qui va rendre selon eux l'important secteur de l'exploitation forestière "complètement ruineux".
"J'ai commencé à couper de façon systématique sur ces parcelles, pour prendre de l'avance", dit à l'AFP cet ingénieur forestier de 52 ans.
Près d'Askola dans le sud de la Finlande, le puissant bruit d'une débroussailleuse résonne dans l'épaisse forêt boréale de bouleaux et d'épicéas, où le bûcheron finlandais prépare une nouvelle grosse coupe pour décembre.
Avant que l'UE, dit-il, ne l'empêche de pouvoir le faire, "c'est mieux de couper les vieux pins maintenant que d'attendre".
Si une grande partie de sa forêt, propriété familiale depuis 300 ans, devait devenir une zone protégée, la transmettre à ses enfants deviendrait "impossible", estime l'exploitant sylvicole.
"C'est très inquiétant", lâche le Finlandais.
Dans le cadre de sa stratégie de biodiversité, la Commission européenne a proposé en juin un projet législatif pour la "restauration de la nature".
- Tensions au gouvernement -
Celui-ci vise à ce que 20% des espaces naturels comme les forêts ou les marais soient revenus d'ici 2030 à l'état dans lequel ils étaient dans les années 1950.
Toutes les forêts, qu’elles soient naturelles ou cultivées pour la sylviculture, et pas seulement dans les zones naturelles protégées, sont concernées.
Outre l'opprobre de l'influent secteur forestier finlandais, le projet a suscité des tensions au sein de la coalition gouvernementale de la Première ministre Sanna Marin.
Les Verts, favorables au texte européen, se sont retrouvés en conflit avec le parti du Centre, soutien traditionnel du secteur forestier et agricole.
Après de longues palabres, les cinq partis au pouvoir se sont finalement mis d'accord sur une ligne critique, Mme Marin jugeant mercredi le plan européen "pas acceptable sans des changements substantiels".
L'opposition, qui reproche au gouvernement d'avoir laissé la Commission avancer, a elle déposé une motion de censure. Celle-ci a échoué vendredi, avec 103 voix en soutien du gouvernement et 73 contre lui lors d'un vote de confiance.
"Cette régulation proposée par la Commission est exceptionnellement injuste pour la Finlande", déplore Saara-Sofia Sirén, une députée du parti de droite de la Coalition nationale.
Selon elle, le retour à la nature coûterait ainsi 190 millions d'euros par an à la première économie européenne, l'Allemagne, "contre près d'un milliard pour la Finlande".
En 2020, les exportations du secteur forestier finlandais ont représenté 10,4 milliards d'euros, soit 18% du total du pays nordique.
Autre problème du projet européen selon la Finlande: la Commission a élaboré sa stratégie sans consultation avec les États, alors que la gestion forestière est une compétence nationale.
Il est "important" que la politique sur les forêts reste décidée "au niveau national", plaide Mme Sirén.
La Finlande n'est pas seule à grincer des dents: en juillet 2021, dix capitales européennes, dont Helsinki mais aussi Berlin et Vienne, avaient exprimé leur "profonde inquiétude" sur les initiatives européennes concernant les forêts.
- Forêts en danger -
La France a aussi exprimé son hostilité, tout comme la Suède, qui compte remettre le sujet sur la table lors de sa prochaine présidence de l'UE, au premier semestre 2023.
Mais pour Jaana Bäck, professeure en sciences de la forêt à l'Université d'Helsinki, il n'y a "pas de doute que ces mesures sont nécessaires pour freiner le recul de la nature et la destruction de la biodiversité".
"Cela n'arrivera pas sans intervention active", dit-elle à l'AFP.
Après une dizaines d'années à plaider pour des initiatives individuelles, l'UE constate que le niveau de protection est "loin d'être suffisant".
"Les forêts sont protégées en Finlande, mais pas assez. Par exemple, nous avons une très faible protection des forêts anciennes", souligne-t-elle.
Le puits de carbone que constitue la forêt finlandaise est lui aussi menacé.
En mai, l'office statistique finlandais a estimé que l'utilisation des terres - principalement agricoles et forestières - étaient devenue pour la première fois une source d'émissions nettes dans le pays, du fait du recul des stocks de carbone dans les forêts.
A.Seabra--PC