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Un an après les ravages du barrage de Kakhovka, des Ukrainiens sans eau et sous les bombes
"Nulle part où vivre, pas d'eau !". Raïssa Abramtseva, 68 ans, résume son triste quotidien à Novovorontsovka, village ukrainien des bords du fleuve Dniepr, debout dans les ruines de son domicile détruit par un bombardement russe en août 2022.
Après avoir tenté de se réfugier dans une ville, elle a choisi de revenir pour être "à la maison". Sauf que son chez elle, c'est désormais "une remise", aménagée à peu de frais, raconte cette femme au regard fatigué, appuyée sur sa canne.
Et elle n'a pas d'eau courante, un problème commun dans la région méridionale de Kherson depuis la destruction du barrage de Kakhovka.
A l'aube du 6 juin 2023, cette massive structure soviétique occupée par les troupes russes est partiellement brisée par une explosion. Et les eaux se déversent en contrebas.
L'Ukraine assure que la Russie l'a détruit pour freiner la contre-offensive de son armée et Moscou accuse Kiev en retour.
Le bilan humain des inondations est incertain, une partie des décès s'étant produits dans les zones occupées, mais il se compte au minimum par dizaines.
Novovorontsovka, en amont du barrage, a connu le problème inverse. Le réservoir de Kakhovka qui le longe, si large qu'il ressemblait à une mer intérieure, s'est partiellement asséché.
Son niveau a chuté "d'un peu moins de 20 mètres", explique Serguiï Pylypenko, chef de l'entreprise municipale chargée de l'approvisionnement en eau. Les systèmes qui en récupéraient l'eau, adaptés à l'ancien volume du réservoir, ne fonctionnent plus.
Quant aux stations de pompage, l'une a été détruite par les combats et les autres sont toujours "constamment bombardées", poursuit le responsable.
Les réparations nécessaires, sur le rivage, ne peuvent pas être menées car les travailleurs "ne vivraient pas longtemps", dit-il. Les troupes russes sont en face, de l'autre côté du Dniepr.
Le ministère ukrainien de l'Environnement estime que des centaines de milliers de personnes ont un temps perdu, entièrement ou partiellement, l'accès à l'eau potable à cause de la destruction du barrage.
A Novovorontsovka, un camion dépêché par les autorités remplit, contre paiement, les réservoirs des habitants.
Mais son conducteur doit être prudent pour ne pas être ciblé par un drone explosif russe.
- "Rien de bon" -
En aval du barrage, c'est au contraire l'afflux d'eau qui a endommagé infrastructures et canalisations.
A Kherson, le quartier de Korabel, petite île reliée au reste de la ville par un pont, avait été inondé. Natalia Biriouk, 67 ans, habitante évacuée à l'époque, raconte que "tout flottait", des animaux de compagnie aux réfrigérateurs.
Un an plus tard, les flots se sont retirés mais les problèmes restent, aggravés par les bombardements.
L'eau courante est "marron", "parfois il y a de l'électricité, parfois non", liste Mme Biriouk.
"Il n'y a rien de bon ici. Et ils tirent tous les jours", ajoute-t-elle en référence aux troupes de Moscou.
Leurs positions se trouvent à seulement six kilomètres de Korabel, enchevêtrement d'immeubles ayant connu des jours meilleurs.
"Notre quartier est toujours en vie", clame pourtant d'un air bravache Valery Birioukov, 67 ans.
Avant de tempérer: "mais les gens ne sont plus là. Ils sont tous partis", admet l'homme.
Kherson, seule capitale régionale occupée par les troupes russes après l'invasion de février 2022, a été libérée en novembre de la même année, mais se trouve depuis sous un feu quasi-continu.
- "Tout" jeter -
Dans les rues de Korabel, c'est plutôt le silence qui frappe. De rares silhouettes, généralement aux cheveux grisonnants, déambulent.
Près d'un abri anti-bombe, une poignée de vendeuses ambulantes proposent des fraises au goût sucré ou du fromage frais.
C'est l'une des dernières options pour faire les courses dans ce quartier où, d'après des résidents, il ne reste qu'une poignée de commerces, pas de banque, pas d'école et presque plus de médecins.
Les habitants "viennent acheter quelque chose ici et courent à la maison", dit Lioudmyla Kyrjnyr, 55 ans, vendeuse de légumes.
Elle raconte avoir dû "tout jeter" après les inondations dans son appartement du rez-de-chaussée, qui sent encore la moisissure.
Des filtres pour les robinets ont été donnés aux habitants, mais ça ne suffit pas. L'eau, jadis propre, "pue", déplore-t-elle.
Et quand elle la fait chauffer dans une casserole, un "film brun se crée à la surface", renchérit Lioudmyla.
Un peu plus loin, Loudmyla Batovrina, 63 ans et t-shirt au logo Louis Vuitton pailleté, dit que dans son immeuble, sur 40 appartements, seuls 7 sont occupés.
Interrogés sur la possibilité de partir, la plupart des résidents renvoient la question : pour vivre où ?
"On a nulle part où aller. Personne n'a besoin de nous nulle part", reprend Lioudmyla Kyrjnyr.
Mais "on doit encore vivre, pour réparer notre Ukraine", espère-t-elle.
M.Carneiro--PC